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Vous prendrez bien un peu d’éthique dans vos TIC ?

François Lambert-Limbosch, échevin en charge des Nouvelles technologies, Commune d'Uccle
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François Lambert-Limbosch

Une quinzaine de personnalités ont été invitées à publier, entre janvier 2018 et juin 2019, une Carte blanche sur le site web du CIRB : l’opportunité, pour chacune d’entre elles, de partager sa vision pour la Région bruxelloise de demain, et d’exprimer ses souhaits pour l’ICT régional.

Georges Orwell s’est lourdement trompé. Nous avons tous lu 1984, en frémissant à la perspective de voir se réaliser la société totalitaire qu’il anticipait. Big Brother, pourtant, n’a pas eu besoin de s’imposer par la dictature. C’est nous-mêmes qui nous sommes jetés, librement, dans ses bras.

En tant que représentant de la génération du baby boom, je mesure chaque jour les changements incroyables que les technologies de tous ordres ont apporté dans ma vie quotidienne. J’ai entamé ma vie professionnelle, à la fin des années 1980, en utilisant une machine à écrire mécanique. Aujourd’hui, je réalise mes opérations bancaires en tapotant sur un terminal qui tient dans la paume de ma main. Si gigantesque ce bond en avant puisse-t-il paraître, il ne soutient pas la comparaison avec le vrai pas de géant qui s’annonce avec l’éclosion conjointe du big data et de l’intelligence artificielle.

Le paradigme de la transition numérique est d’apporter de la facilité dans notre vie quotidienne. Une facilité à laquelle nous sommes prêts à tout céder. Déjà nous livrons un maelström de données à des entreprises dont la puissance économique dépasse – et de loin – le PIB de la majorité des États de cette planète, dont la Belgique. Cela, en toute connaissance de cause car, comme le chantait Jacques Dutronc : « J’y pense puis j’oublie ! »

Quel est donc le rôle des autorités dans ce tableau ? Les technologies amplifient un changement à 180° dans l’acception même du service public, devenu service au public. Il est légitime de s’interroger sur ce que ce changement d’approche charrie, sur un plan purement idéologique : le plan quinquennal, aux connotations soviétiques aujourd’hui totalement désuètes, a cédé la place au business plan, d’inspiration libérale voire ultralibérale. L’administration a revêtu le costume de l’entreprise, mais lui convient-il vraiment ?

Mon propos n’est d’abandonner ni le numérique, ni la bonne gouvernance, encore moins de jeter avec l’eau du bain les avancées en termes de simplification administrative. Qui se plaint de gagner du temps et de ne pas avoir à se déplacer grâce aux services en ligne, dont le guichet IRISbox ? Cela ne doit pas m’empêcher – nous empêcher – de prendre du recul et d’envisager vers quels horizons nous mène la transition numérique, lorsque nous nous positionnons du point de vue du bien public. Doit-on embarquer sans sourciller dans le train des acteurs privés du secteur IT ? En facilitant le déploiement de la voiture autonome ne condamne-t-on pas irrémédiablement des opérateurs comme la STIB ou la SNCB ? N’importe-t-il pas de baliser ces avancées comme la question se pose déjà pour ces simples trottinettes électriques en free floating qui envahissent nos trottoirs ?

Privilégier l’intérêt commun, c’est – ce devrait être – l’alpha et l’oméga des acteurs publics, quels qu’ils soient. C’est la posture que certaines collectivités ont choisi d’adopter en matière de nouvelles technologies. Issy les Moulineaux, en France, vient de se lancer dans un partenariat avec le moteur de recherche « made in France », Qwant, avec la volonté de faire de la protection des données personnelles et de la vie privée une priorité. Le Québec, via sa Commission de l’éthique en science et en technologie, dispose de lignes directrices pour allier l’éthique au numérique dans les municipalités de la Belle Province. Publiées sous le titre « La ville intelligente au service du bien commun », ces lignes directrices déclinent en plus de 100 pages ces quatre principes : « 1) Maximiser les bénéfices sur le plan du bien commun; 2) Éviter ou réduire le plus possible les préjudices potentiels portés à la dignité, à la vie privée et à la vie démocratique; 3) Assurer une distribution équitable des bénéfices et des préjudices possibles entre les acteurs concernés; 4) S’assurer que les bénéfices attendus sont toujours supérieurs aux inconvénients, dont les coûts. »

Last but not least, star incontestée au firmament des smart cities, Barcelone a choisi de fonder son développement numérique sur une approche novatrice de la relation entre industrie, municipalité et population. Elle a notamment fait le choix résolu de l’open source comme ferment d’un écosystème technologique local et novateur. Dans le cadre de ses processus participatifs, la mairie catalane mixe par exemple les ressources de la technologie à l’intelligence collective d’assemblées citoyennes. Le versant numérique de ce processus a pris la forme de la plateforme web Decidim, dont le code se propage librement à travers le monde, y compris en Belgique. Ma commune, Uccle, a eu l’occasion de l’essayer, au printemps 2018, dans le cadre d’une initiative du gouvernement fédéral. Le test, mené à petite échelle, n’a pas permis d’exploiter la quintessence des mécanismes de co-décision et co-création appliqués à Barcelone. Voyons cependant cette expérience comme un premier jalon, un élément de la réponse à apporter plus largement à l’exaspération citoyenne qui se manifeste dans le silence des urnes comme dans le chaos propagé par certains gilets jaunes.

N’est-il pas temps, en conclusion, à notre niveau, en tant qu’autorités publiques en charge des nouvelles technologies, de mettre l’éthique à l’agenda de nos TIC ?

PS. Je remercie le Centre d’Informatique pour la Région Bruxelloise de m’offrir cette tribune. Le CIRB fut jusqu’à récemment mon employeur, avant que les hasards de la vie et un brin d’intrépidité me conduisent vers mon actuelle fonction d’échevin à Uccle, en charge notamment des Nouvelles technologies.

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