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Un réseau distribué d’écosystèmes créatifs pour réinventer l’Europe

Alain Heureux, cofondateur Brussels Creative & Creative Ring
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Alain Heureux

Une quinzaine de personnalités ont été invitées à publier, entre janvier 2018 et juin 2019, une Carte blanche sur le site web du CIRB : l’opportunité, pour chacune d’entre elles, de partager sa vision pour la Région bruxelloise de demain, et d’exprimer ses souhaits pour l’ICT régional.

Nous entrons dans un monde de plus en plus « dématérialisant » : les puces sont de plus en plus petites, les logiciels de plus en plus importants et l’intelligence de plus en plus présente. Les emplois futurs dépendront de la création de valeur au travers de nouvelles formes de collaboration et de partage. C’est pourquoi l’Europe doit accélérer l’innovation en mobilisant son potentiel créatif. Une nouvelle génération d’entrepreneurs et d’individus créatifs est en train d’émerger dans nos villes. Rassemblés dans un ensemble varié de « tribus » urbaines (wikipédiens, artistes numériques, producteurs de médias locaux, fablabbers, arduineurs, nouveaux designers, …), ils créent de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités dans des temps difficiles. Ils le font non seulement en développant et en améliorant des produits et des services qui leur sont propres mais également en enrichissant et en revitalisant des activités économiques existantes.

La transition numérique des sociétés, qui va bon train au niveau mondial, offre à ces communautés des opportunités qui peuvent encore renforcer ce mouvement. Ces communautés innovantes informelles sont également de plus en plus découvertes par des institutions scientifiques et culturelles telles que les universités et les centres culturels ainsi que par des entreprises et des gouvernements locaux qui souhaitent comprendre et entrer en dialogue avec ces nouvelles formes d’innovation. Cependant, dans de nombreux cas, ces communautés créatives urbaines sont isolées de leur homologues dans d’autres villes et n’ont pas accès aux technologies et solutions de l’Internet du Futur (tant en termes d’infrastructure à haute vitesse câblée et sans fil qu’en termes d’applications) qui pourraient être hautement utiles tant dans la création que dans l’échange de contenu et d’applications innovants. En conséquence, l’immense potentiel des industries créatives européennes, en taille comme en diversité, n’est actuellement pas mobilisé.

Bien que cette vision puisse être correcte et si nous croyons que la Solution doit être ouverte et disruptive, il ne faut pas être naïfs et nous devons organiser le concept d’ouverture en évitant que des monopoles accaparent toute la valeur créée par la chaîne. La culture dite « ouverte et partagée » est issue du secteur numérique et l’Internet des objets qui se profile, se confrontera rapidement à toute industrie adoptant ce nouvel état d’esprit.

Aujourd’hui, l’internet est dominé par quelques gardiens qui contrôlent l’accès et la création de valeur parce qu’ils sont rapides, de grande taille, disruptifs, souples, novateurs et au service du citoyen.  Ce sont eux qui définissent les règles, les qualifiant d’ouvertes et partagées, mais la réalité est très différente car nous étions aveugles et ancrés dans nos convictions.

Comment l’Europe peut-elle jouer un rôle demain et utiliser son ADN historique fait de diversité et de créativité pour produire des services numériques mondiaux plutôt que de simplement consommer des services numériques ?

ÉCHELLE-VITESSE-SERVICE devront focaliser l’attention de l’ensemble des industries et institutions européennes alors que l’esprit d’intraprenariat et d’entreprenariat est clairement de retour : en visitant divers hangars reconvertis (Watershed, Engine Shed, etc.) à Bristol ou une initiative communautaire appelée « Institut for (X) » à Aarhus, en visitant divers fablabs publics et privés (Manchester, Barcelone, Amsterdam, Toulouse, etc.) tels que les a rêvés le professeur Neil Gershenfeld, nous permettant de produire pratiquement n’importe quoi, en découvrant la façon dont les grandes entreprises réinventent leur structure interne de la manière décrite dans le livre de Frédéric Laloux mais également mise en pratique dans des entreprises emblématiques telles que Saint-Gobain, Airbus ou Renault, vous pouvez clairement sentir que la mentalité a changé ces 5 dernières années et que nous n’avons plus à jalouser la Silicon Valley ou tout autre lieu.

L’ÉCHELLE reste un défi important pour l’Europe. Le Marché unique numérique devrait nous aider à atteindre cette dimension dans notre marché domestique avant de passer à une dimension mondiale.  Il reste très compliqué d’atteindre nos 500 millions de citoyens en raison de diverses lois et contraintes administratives qui ralentissent l’extension et la rétention de nos nouvelles initiatives, attirées par d’autres régions du monde : les États-Unis d’Europe, Royaume-Uni compris, devront devenir une réalité si nous voulons conserver nos talents et offrir un avenir attrayant aux prochaines générations.

Dans ce monde où les impératifs du délai de commercialisation l’emportent sur la propriété intellectuelle, le facteur VITESSE est un second élément auquel nous devons travailler car les prochaines années seront importantes pour préparer le terrain et définir les règles d’un environnement où tout est connecté par des capteurs et produit des données qui peuvent être instantanément converties en informations prédictives. Il s’agit de développer des normes, législations ou protocoles intelligents pour assurer le libre jeu d’une concurrence équitable. Aujourd’hui, l’écosystème n’est pas du tout contrôlé, ce qui permet la création de certaines situations de monopole dommageables pour toute forme de concurrence et les développements qui s’ensuivent. Il y a lieu de rectifier la situation actuelle et de définir et organiser un nouvel environnement qui offre des opportunités aux petites, moyennes et grandes initiatives.

La notion de SERVICE et, en association, la culture de l’OUVERTURE sont probablement les plus grands défis pour notre continent, car ces notions sont nouvelles dans notre manière de penser européenne : nous étions les meilleurs dans la fabrication, mais maintenant nous devons transformer nos produits en services grâce aux technologies numériques : une usine automobile doit devenir une entreprise offrant des services de mobilité à l’utilisateur final. Un tiers de la valeur proviendra du produit, mais deux tiers proviendront du service. Aujourd’hui, l’Europe se concentre uniquement sur ses produits alors que d’autres s’attachent à conquérir les services.  Pour penser service, nous devons accepter d’ouvrir nos produits : la conception ouverte nous apprend que ce que vous ne pouvez pas ouvrir, vous ne pouvez pas en être propriétaire !

L’initiative Fairphone créée à Amsterdam illustre parfaitement qu’un téléphone peut être davantage qu’un produit ! Dans le modèle centré sur le fabricant, le seul rôle d’un utilisateur est d’avoir des besoins, que les fabricants identifient et comblent en réalisant de nouveaux produits. Les processus d’innovation centrés sur l’utilisateur sont très différents de ce modèle traditionnel, où les produits et services sont développés par des fabricants en vase clos, utilisant des brevets, droits d’auteur et autres protections pour empêcher les imitateurs de tirer profit sans vergogne de leurs investissements en innovation. Une ouverture totale du processus permet de faire surgir des idées plus en rupture et de les tester plus rapidement, ce qui accélère le cycle de l’innovation et crée de nouveaux partenariats entre les petites et les grandes entreprises. L’itération ouverte garantit un processus permanent d’amélioration potentielle.

Citoyens, villes et entreprises doivent collaborer pour créer des champs d’expérimentation et se connecter à d’autres villes et régions d’Europe pour partager des expériences, identifier les bonnes pratiques mais aussi co-créer par-delà des frontières. La force de l’Europe reste sa diversité et son sens historique de la créativité, qu’il s’agit maintenant de transformer, pour reprendre les mots du professeur Joël de Rosnay, en une Intelligence collective et connective. Cela peut paraître futuriste, mais rappelez-vous que dans certaines traditions de Papouasie-Nouvelle-Guinée, on ne raconte aux gens que la moitié d’une histoire, charge à eux de trouver l’autre moitié en eux-mêmes ou auprès de quelqu’un d’autre.

Nous devons espérer que nos dirigeants et nos systèmes deviendront plus conscients à tous les niveaux (comme le dit Raj Sisodia à propos du capitalisme conscient : Objectif-Planète-Personnes) et adopteront une approche holistique.
Notre attitude reste l’optimisme engagé.

Écrit par un pirate des systèmes constructif !

Alain Heureux pour Brussels Creative et le Creative Ring (www.creativering.eu)

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